Michel Philippot, sans filtre

Ils font Saint Cloud 23/01/2023

Rendez-vous au Bar des amis, alias le P’tit bar, boulevard de la République. Installé comme à son bureau, journal et téléphone à portée de main, Michel Philippot revient sur une vie dédiée au photojournalisme, souvent au cœur des conflits les plus terribles, comme auprès des plus grands hommes et femmes de l’échiquier politique international.

Après des études à la faculté de Nanterre en droit et lettres modernes, Michel Philippot vit intensément toute la période de mai 1968, se définissant lui-même comme « activiste ». Une époque émaillée de souvenirs, dont certains ressurgissent, comme ces moments uniques qu’il partage avec sa grandmère, militante communiste, franchissant à ses côtés les grandes portes de la Sorbonne pour participer comme il se doit aux débats avec la jeune génération. Il devient professeur et enseigne l’histoire-géo, la philo et le français, dans le privé, à Paris.

Aller simple pour Beyrouth

Sa vie bascule en 1976 quand il décide de quitter sa vie de prof pour couvrir la guerre du Liban, sans avoir aucune expérience de la photographie.

« Je n’avais pas un sou en poche, juste des contacts sur place et l’envie d’être là-bas pour comprendre, voir de mes yeux et montrer ce qui s’y passait. J’achetais mes pellicules au jour le jour. Une fois mes photos prises et tirées, je partais dans les rédactions des journaux locaux pour les vendre ou m’installais à l’AFP et l’AP, à L’Orient le Jour pour avoir des infos et retrouver mes confrères libanais. C’est comme ça que j’ai appris le métier de photojournaliste ! Il ne suffit pas de faire des photos, il faut ensuite trouver preneur ! »

Des rencontres opportunes et une actualité politique et sociale chargées lui font accéder aux rédactions des quotidiens et des hebdomadaires nationaux : l’Express, Valeurs actuelles, le nouvel Obs, le Matin de Paris. Il entre alors chez Sygma, une des plus grandes agences photo mondiales où il restera de 1977 à 1989. Un métier - à risques - qui lui fait parcourir le monde, au plus près des conflits : Salvador, Afghanistan, Liban, Sri Lanka.

« C’est un métier où il faut être à la bonne place au bon moment. Pour mon premier reportage en Afghanistan, j’ai eu un visa avant tout le monde. Il fallait avoir ces sésames en poche pour arriver avant les autres et aussi un certain nombre de passeports pour pouvoir revenir dans un pays d’où on venait d’être renvoyé. »

Michel est aussi invité à photographier les grands de ce monde. « Je me souviens de ma première fois sur les marches de l’Élysée. J’ai eu pleinement conscience du côté exceptionnel de ce métier : accéder à des lieux de pouvoir, être là où peu ont le droit d’être. »

Sans compter ses multiples souvenirs de moments historiques « comme cette nuit de novembre 1982 pendant laquelle on a attendu la libération de Lech Walesa et assisté à son discours à quatre heures du matin aux chantiers navals de Gdansk au milieu de ses soutiens de Solidarność.»

Des reportages qui deviendront aussi, le temps passant, des épreuves. « J’ai eu peur plusieurs fois. Quand on a les balles qui sifflent à droite et à gauche et que l’on voit des collègues se faire descendre, cela devient pesant. » Sans parler de reportages qui le marquent à jamais, comme celui sur le terrible massacre de Sabra et Chatila ou celui sur la guérilla tamoule au Sri Lanka. « Ça a été pour moi la fin du voyage », conclut-il avec le laconisme pudique de celui qui a vu de trop près la barbarie des hommes. Comme certains posent les armes, à 45 ans le photographe range définitivement ses appareils photo et devient rédacteur en chef.

Et Le Monde 2 fut

Michel Philippot est embarqué dans le projet ambitieux que porte François Siegel : créer un magazine qui réunit grands textes et grandes photos. Une aubaine pour ce défenseur de l’intégrité de la photographie et ce grand travailleur qui passera une année à monter le projet.

« À cette époque, en 1998, la photo prenait de plus en plus d’importance, il fallait une reconnaissance de l’image face à l’écrit, lier de grands textes à de grandes photos, faire correspondre le meilleur avec le meilleur… » Le Monde 2 est né, Michel Philippot y restera dix ans.

Trop d’images tue l’image

« Aujourd’hui, le métier a beaucoup évolué, on est plus dans la consommation. Certains journaux gardent malgré tout un certain vernis, comme Le Monde », auquel Michel Philippot est fidèle depuis sa jeunesse.

« J’allais chercher presque chaque jour Le Monde pour mon père. Je profitais pleinement de cette lecture qui était pour moi une ouverture sur le monde, la politique, les enjeux dont on parlait beaucoup en famille, toutes générations confondues. »

Les photos sont archivées, les souvenirs restent à fleur de peau, et la jeunesse partage encore parfois furieusement ses convictions, aux tables voisines.

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