Ils font Saint Cloud 16/11/2022
Clodoaldien depuis 2010, Jean-Yves Dardel dessine depuis l’enfance. Il se consacre désormais à la bande dessinée, et fait à Saint-Cloud une place importante dans son dernier album.
Jean-Yves Dardel se définit comme un presque autodidacte. Passionné de dessin depuis son plus jeune âge, il suit au collège des cours hebdomadaires d’initiation au dessin, où il apprend les bases techniques qui lui servent encore aujourd’hui : notions de perspective, traitement des lumières, anatomie des personnages…
Une passion devenue un métier
Avant d’oser se consacrer à sa passion, Jean-Yves Dardel fait carrière dans la publicité, au sein du prestigieux groupe Publicis. Dans ce monde de créatifs, il rencontre de nombreux graphistes et illustrateurs, auprès de qui, peu à peu, il approfondit ses connaissances et améliore sa pratique de dessinateur.
En 1989, sans rompre tout à fait les amarres avec son métier, qu’il exercera désormais à temps partiel, Jean-Yves Dardel entame un virage vers la bande dessinée comme occupation première. Là aussi, tout est affaire de rencontres : Michel Jans, le fondateur des éditions Mosquito, à Grenoble, lui lance un défi : s’il arrive à terminer son premier album, alors en préparation, il sera sûr de le voir publié !
Premiers voyages dans le temps
Le premier album, ce sera L’Impossible Machine, publié, comme promis, en 2014. Il est difficile de résumer ce vertigineux voyage à travers le temps : une jeune Parisienne raconte à une amie une aventure… dont elle n’est pas tout à fait sûre qu’elle ait vraiment eu lieu. Utilisée comme cobaye par un groupe de scientifiques, elle aurait été le premier être humain à voyager dans le passé, où elle part à la rencontre des mêmes savants, plus jeunes, à l’époque où ils ont créé la machine en question…
Mais le doute subsiste, exprimé par l’amie, qui est le relais incrédule du lecteur : et s’il ne s’agissait que d’une méthode de suggestion particulièrement efficace, hypnose ou emprise chimique ?
Vertiges et dilemmes
Le lecteur s’étant perdu avec délice dans ce premier album, dans les jeux de miroir temporels et aux confins incertains du réel et du rêve, doit se précipiter sur le deuxième, Le Désert vert, qui vient de paraître chez le même éditeur, Mosquito. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une suite, mais plutôt d’un approfondissement de la même thématique, où les époques se superposent parfois jusqu’à faire cohabiter le même personnage à deux âges différents dans le même espace-temps… Le trouble du lecteur va croissant, à l’image de ce personnage, qui demande, perplexe : « Qu’est-ce que je verrai ? Une vraie porte du temps ? un canular ? ou les restes d’une expérience ratée ? ».
Il faut accepter de se perdre dans le labyrinthe du temps, de ne plus savoir, littéralement, où on en est, pour se concentrer sur les interrogations écologiques : le progrès technique, source de dévastation, peut-il aussi conjurer ce ravage de la planète ? Les questions sont aussi, et peut-être surtout, d’ordre éthique : lorsque l’on sait, pour l’avoir vu au cours d’un voyage temporel, ce qui va arriver dans un avenir proche, doit-on, une fois revenu à son présent, intervenir pour corriger le destin ou laisser advenir ce qui doit advenir ? Le vertige est donc à plusieurs niveaux, et pour le lecteur, la réflexion se prolonge bien après la dernière page tournée.
Des clins d’oeil à Saint-Cloud
Le « désert vert » qui donne son titre à l’album, né de la reforestation de zones arides par des plantations d’eucalyptus, n’est pas encore un paysage typiquement clodoaldien ! Mais dans ce décor de film d’anticipation, le lecteur clodoaldien ne se sentira pas toujours dépaysé. Ça et là, des clins d’oeil graphiques sont adressés au lecteur : parmi de nombreux morceaux de bravoure architecturaux, au dessin parfaitement maîtrisé. Vous reconnaîtrez la passerelle de l’Avre à l’arrière-plan d’une grandiose villa utopique au toit en forme de feuilles de noyer, et le lycée Alexandre-Dumas, boulevard de la République, très fidèlement représenté, flanqué de la colonne Morris à l’angle de la rue de Buzenval. Avec quelques vues sur Paris qui vous sembleront familières, le lycée offre le décor d’un de ces retours dans le passé où l’avenir est annoncé à des lycéens incrédules…
« Ce qui m’entoure m’inspire toujours beaucoup, explique Jean-Yves Dardel. Depuis mes chaises blanches jusqu’à la Beauce, où j’ai vécu dix-sept ans ! C’est souvent inconscient. Un de mes amis a reconnu mon armoire dans une de mes histoires… je ne m’étais même pas rendu compte que c’était elle que je dessinais ! ».
Le propre des récits d’anticipation est de créer chez le lecteur le trouble nécessaire à la réflexion : dans ce mécanisme, il faut des éléments familiers, issus de notre quotidien, pour que l’avenir imaginé devienne crédible, qu’il soit désirable ou terrifiant. Pour les Clodoaldiens, Saint-Cloud joue ce rôle a fortiori dans Le Désert vert : ces décors familiers aident à se projeter dans un avenir qui devient ainsi plus vraisemblable, presque déjà là… enviable ou non ? À vous de vous faire une opinion : L’Impossible Machine vous attend pour vous emmener jusqu’au Désert vert !